Chacun de ses mots est pénétré de littérature et d’expérience. Nikos Precas fait partie des auteurs dont la parole et la plume ne font qu’une. Son dernier roman paru aux éditions Brandon Athènes en ruines est un roman qui marque, dont on se souvient et qui donne une irrésistible envie de s’intéresser à l’auteur.
Dans cet échange, Nikos évoque la nécessité d’écrire pour surmonter les épreuves, ce que le bilinguisme apporte à l’écriture et tout l’intérêt que présente le travail éditorial dans le parcours d’un auteur.
Quel regard portes-tu sur le métier d'auteur ? Qu'est-ce qu'être auteur aujourd'hui ?
À cette question, Nikos Precas est avant tout interpellé par les trois termes qui la composent et qui guident sa pensée pour y répondre. Et par cette réflexion, il dévoile sa fascination pour la puissance des mots et de la parole.
“Regard est un mot qui me plaît. C’est le regard qui définit ce que nous devenons à partir du moment où l’on se met à écrire. Écrire, c’est succomber à la puissance d’un regard qui nous est donné et qui nous donne à voir le monde sans aucune lassitude”. Sans aucune fatigue ou oubli.
Pour Nikos Precas, c’est une question d’acuité que l’on éprouve rarement ; le regard comme étant à la racine de l’écriture avant même qu’il y ait naissance d’un mot.
“Pour moi écrire c’est être à la hauteur de ce regard. De mon regard et de celui des autres : sur la nature, sur les objets, sur les hommes.”
L’image est belle. Lorsque chacun écrit, il devient alors maître voyant. Le moindre fait ordinaire devient un univers, une sorte de remémoration de choses à notre insu. “Et cela me bouleverse à chaque fois.” Pour lui, en écrivant, nous apprenons à regarder.
Quid des deux autres termes qui l’interpellent ? La notion de métier d’abord pour laquelle un peu d’étymologie ne peut qu’être bénéfique. Métier, mot très ancien, viendrait de “magistère”, c’est-à-dire le service, le serviteur.
“On devient donc serviteur de quelque chose ; quelqu’un qui offre un service, qui administre” et c’est ce que Nikos Precas apprécie dans le métier d’auteur : être au service de la parole, au service du regard du monde, “serviteur d’une lecture du monde qui peut facilement se perdre dans le vacarme du monde”.
Pour lui, le métier d’auteur existe bel et bien dans cette dimension. Mais reste l’aspect sociologique et cela devient alors discutable lorsqu’on évoque l’absence de formations reconnues par l’État, la rémunération, la reconnaissance du savoir-faire.
Pour Nikos Precas, auteur “doit rester un métier à part” des autres, bien au-delà de la dimension rémunératrice.
Enfin, en troisième terme, le cœur du sujet : l'auteur. “J’aime beaucoup ce mot. C’est curieux parce que cela me fait penser au mois d'août, au cœur de l’été”.
Ce qui est plus drôle et étrange encore est que Nikos Precas me partage l'étymologie du terme auteur qui rejoint pleinement son intuition. Auteur signifie la pleine croissance, la floraison, en lien direct avec la racine indo-européenne “aveg” qui signifie août.
“L’auteur est un géniteur, qui fait accroître les choses, qui construit.” Nikos Precas rappelle que l’on peut être auteur d’un crime, et que les auteurs le sont finalement tous, en référence à Georges Bataille.
“L’écriture est un sacrifice de la parole, transportée dans un ailleurs où elle ne sert à rien en elle-même. C’est la dédouaner de son utilité et la rendre libre. Écrire c’est jouer avec elle et lui faire dire des choses qu’on ne peut pas lui faire dire dans le quotidien. On violente la langue, on la garde vivante grâce à ces déplacements, à ces torsions.”
Les auteurs seraient donc à la fois criminels et gardiens de la langue, la préservant de l’hyper-utilité en l’arrachant aux contraintes du quotidien.
Comment es-tu devenu auteur ? Quel a été ton parcours jusqu'à présent et comment l’analyses-tu ?
Sociologue de formation, Nikos Precas est arrivé tardivement à l’écriture de fiction : “je n’ai pas grand passé dans l’écriture de fiction, roman, nouvelle ou même poésie. Par contre j’ai une très longue pratique de l’écriture pour des publications professionnelles, des revues de sociologie, des rapports.”
Pour lui, cela a été avant tout une écriture raisonnée, obéissant à des règles. Mais, petit à petit, une lassitude s’est installée avec les années : “cette écriture, je la trouvais timorée, dans le confort, tournant autour des choses maîtrisées et maîtrisables.”
Un ennui qui l’a conduit à griffonner des textes le soir jusqu’à la crise économique grecque des années deux mille. De double nationalité franco-grecque, Nikos Precas fut profondément touché par cette crise, premier déclencheur de son écriture de fiction.
“Comme tu as eu envie de créer quelque chose autour de l’écriture et de la littérature avec Je suis auteur, j’ai eu envie d’écrire sur cette expérience, cette tragédie grecque”. Sans qu’il ne le décide, une nouvelle langue s’est présentée à lui : “non pas une langue d’analyste et d’analyse, mais une langue du regard, des sensations, des sens, des émotions”.
Mélange de fiction et de réalité, libre, vraie pour lui, son style d’écriture s’est révélé puis affirmé. Sa concrétisation ? D’abord plusieurs publications en autoédition chez Edilivre; durant plusieurs années.
“Il fallait que je devienne quelque chose face à cette tragédie, comme une nécessité, et c’est par la littérature que cela s’est produit”.
Deuxième déclencheur, deuxième drame, en 2015 avec la mort d’un proche dans les attentats du Bataclan. “L'écriture et la littérature ont été un moyen de supporter, d'appréhender la tragédie.” A nouveau, deux publications en autoédition.
Ce fut un pur hasard de passer de l’autoédition à l’édition. Au printemps du livre de Grenoble, quelqu’un lui tend un prospectus, celui d’une maison d’édition qui forme des auteurs, dont les publications se démarquent et dont l’éditrice traduit du grec.
Étape suivante, Nikos Precas envoie son dernier manuscrit, celui qui donnera Athènes en ruines à Brandon & Compagnie. Ce roman est le dernier du cycle de la crise grecque pour Nikos, et montre à travers son récit “ce que peut devenir l'être humain à partir de cette épreuve ultime”.
Sans cette rencontre avec Caroline Nicolas, il y a de fortes chances que le roman ait été auto édité comme les autres avant lui.
“Les plus belles choses de ma vie m’ont été données ou offertes plutôt que prises par la force de la volonté”.
As-tu rencontré des obstacles ou des épreuves dans ton parcours d'auteur et comment les as-tu traversés ?
“Incontestablement : le travail éditorial. Mais c’est une épreuve que l’on redemande tant elle est positive et profonde.”
Nikos Precas souligne également l’épreuve qu’est celle d’écrire pour les autres. "Être exposé aux regards des autres pour le pire et le meilleur, c’est une épreuve pour l’auteur à chaque fois”.
Lorsque les critiques sont positives, Nikos Precas les accueille dans le sens de l'exigence et non celui de l'autosatisfaction, afin de toujours viser la qualité de l'écriture. Quant aux critiques négatives, il faut les entendre car cela peut faire progresser.
“Une fois le livre publié, il ne nous appartient plus. C’est le monde du lecteur qui commence, c’est presque un statut d'infériorité de l’auteur dans ce cas. C’est la vulnérabilité de l’auteur qui a cessé d’écrire et que l’on juge.”
Enfin, Nikos Precas met en avant une autre difficulté d’auteur : celle de parvenir à parler de ses écrits. "Lorsque je parle du livre, j’ai l’impression de faire preuve de maladresse. Soit, j’en dit trop, soit pas assez. Il y a une frustration par rapport à mes critères.”
À quoi ressemble ton quotidien d'auteur ? En quoi consiste ton rythme d'écriture, tes habitudes ?
“J’ai une pratique presque plus indispensable que l’écriture au quotidien, c’est la lecture”.
Pour Nikos Precas comme pour de nombreux auteurs, il n’y a pas d'écriture sans lecture. Il apprécie écrire quelque chose tous les jours et, en parallèle, différents chantiers d'écriture se mettent en place.
À évoquer les habitudes, Nikos Precas en a certaines : il écrit plutôt le matin, aux heures privilégiées après le lever, ou tard le soir. Dans des moments de calme mais il demeure flexible, appréciant la souplesse que lui donne sa retraite dans la gestion du temps.
“Mes premiers jets sont tout le temps à la main. J’aime ce rapport physique, manuel, de l’écriture.”
Quelles sont tes "mauvaises habitudes" ou axes d'amélioration en écriture et que fais-tu pour y travailler ?
Nikos Precas traque ses mauvaises habitudes d’écriture et, pour les contrer, il aime se surprendre. “Parfois je m'arrête car cela devient trop facile d'écrire, cela m'effraie parfois. C’est une zone de confort. Je m’invente alors des stratagèmes comme démarrer une phrase et ne pas la finir”.
Il y revient alors plus tard, comme déconnecté et plus à même d’éviter ses tournures de phrases habituelles. Seul face à soi, il s’agit d’inventer des vigilances, des alertes et, pour Nikos Precas, la retraite est un faux cadeau. “Disposer de trop de temps peut effrayer pour écrire, et il y a moins ce côté héroïque d'écrire le soir ou le weekend en plus de son travail.”
Une trop grande disponibilité doit donc être combattue : il faut jouir de sa liberté sans céder à la facilité, à la banalisation de la disponibilité.
“Dès que cela devient un peu trop maîtrisé, il faut changer pour conserver sa voix originelle.”
Quelle place doit ou peut tenir la formation en écriture dans le parcours d'un auteur ? Doit-on continuer à se former une fois publié ?
“Au-delà de la formation, c’est plutôt l’apprentissage qui ne doit jamais s’arrêter. Publié ou non.” Pour Nikos Precas, il faut se former de mille manières, et être nourri de mille sources de manière permanente sinon, autant s’arrêter d’écrire.
Le statut d’éternel apprenti lui plaît beaucoup. “Il faut questionner, écouter les autres, comme ton blog (Je suis auteur) qui déplace les horizons sinon, on tourne en rond dans notre propre monde qui finit toujours pas être limité.”
L’autre, l'ailleurs, nous ouvre de multiples portes et si certains, nombreux, ressentent le besoin de suivre une formation formalisée alors il faut suivre cette intuition. Et le travail éditorial en lui-même est une formation pour tout auteur, en particulier les primo auteurs.
En parlant de publication, quelle a été la nature de ta relation avec ton éditrice ? Comment perçois-tu le travail éditorial ?
Nikos Precas ignorait ce qu’était un travail éditorial avec un éditeur avant Athènes en ruines. Et l’exercice s’est révélé bien différent de ce à quoi il s’attendait.
“Je ne l'imaginais pas d’une telle profondeur, d’une telle exigence, d’une telle beauté aussi dans la dureté du travail, du labeur de l’écriture. C'était bouleversant”.
Des séances d’une à deux heures, plusieurs fois par semaine, dont la plupart se sont déroulées durant le premier confinement au printemps 2020. "C'était étrange car, vu le contenu du livre, il y avait des résonances.”
Le travail éditorial a été pour Nikos Precas sa plus belle expérience d'écriture. “J'ai beaucoup aimé dépasser sans cesse mes limites, presque à chaque phrase.”
Un processus d’une radicalité bouleversante pour lui, comme une partition à quatre mains. Qui se présente comme la plus-value à publier en maison d’édition comparée à de l’autoédition : la valeur ajoutée d’un travail éditorial approfondi qui transforme l’auteur et son texte.
Cette démarche n’est malheureusement pas poussée aussi loin dans toutes les maisons d'édition.
Quelle comparaison entre auto édition et édition traditionnelle ?
“Le problème avec l'auto édition est que tu n’as aucun retour sur ce que tu écris.”
Par cela, Nikos Precas met en avant que les structures d’auto édition, de publication à compte d’auteur, se limitent à une correction orthographique, grammaticale et typographique, pour les plus sérieux. “À partir du moment où ce n’est pas appel à la haine ou au racisme, ils publient tout.”
C’est un parcours en boucle fermée dans lequel l’auteur est limité dans sa progression, mis à part le retour de quelques lecteurs.
La rencontre avec un éditeur est alors un bol d’air : "c'était la première fois que quelqu’un s'intéressait à mon travail d'écriture en profondeur pour le travailler, pour l’améliorer.”
Pour Nikos Precas, Caroline Nicolas l’a déraciné de ses mauvaises habitudes d’écriture, selon ses propres mots. Et ce fut une bonne chose pour éviter de tomber dans un narcissisme qu’il redoute : “on finit tous par devenir amoureux de notre propre écriture. On a du mal à la bousculer seul, il nous faut un tiers.” Un tiers qui aime les auteurs et la littérature.
Quels conseils as-tu pour des auteurs en devenir qui souhaitent concrétiser leurs projets et même se professionnaliser ?
“D’abord, aller au bout de l’écriture, c’est ce que je peux tirer de mon petit itinéraire”.
Nikos Precas met en avant, avec plaisir, quelques enseignements tirés de son parcours.
“Il y a beaucoup d’abandons de textes en cours, mais il faut aller au bout même si l’on n’est pas satisfait à 100%. On ne l'est jamais d’ailleurs.Et partir sans cesse sur des essais sans jamais les terminer amène la posture d'échec et d’inachevé.”
C’est la sensation de finaliser qui importe alors.
“Avoir la plume endurante pour garder sa fraîcheur. Être en accord avec soi-même aussi, et savoir ce que l’on fait de nos écrits une fois terminés”.
Pour Nikos Precas, il s’agit de savoir si l’on écrit pour soi ou pour le monde, si l’on est poussé par le partage ou par la pudeur. Dans la première option, le cheminement de l’exposition doit alors débuter, d’aller vers les autres, de publier.
“Les échecs sont une très bonne chose pour quelqu’un qui veut écrire car cela permet de tester la persévérance et l’envie. Le refus de manuscrit est un test. Que fait-on en cas de refus ? On abandonne ou on s'accroche ? A-t-on besoin de l'écriture pour vivre ou non ?”
Si l’on répond par l’affirmative, alors l’envie d’écrire reviendra toujours. Pour Nikos Precas, tant que cela reste une nécessité, il n’y a pas vraiment d’obstacles, surtout lorsque l’on réalise que les petites avancées font déjà beaucoup. "Auto éditer et partager avec quelques dizaines de personnes, c'est déjà très bien. Une audience reste une audience, quelle que soit sa taille.”
Sans omettre l’importance de la sincérité dans cette persévérance : “si c’est juste pour se montrer, cela ne va pas tenir. On passera à autre chose pour se montrer avec moins d’effort que l'écriture.”
Bonus : des maisons d'édition et des librairies à recommander ?
Nikos Precas fréquente beaucoup les librairies et prête sans cesse attention aux maisons d’édition qui émergent.
“Je trouve que les petites maisons d'édition sont une richesse. La littérature serait bien plus pauvre s’il n’y avait que les grandes maisons. Les petites maisons peuvent avoir des audaces et des auteurs que l’on ne trouve pas ailleurs.”