Les auteurs partagent rarement leurs doutes en cours d’écriture d’un manuscrit. Il est vrai que c’est un travail solitaire, qui prendra toute sa valeur une fois le texte achevé. Sans compter que raconter les heures passées derrière un traitement de texte ne génère pas un récit palpitant. Le problème pour les auteurs en devenir, c’est que l’on se retrouve, en tant que lecteur, face à un produit fini, sans savoir ce qu’il nous attend en cours de rédaction.
Depuis novembre et ma participation au Nanowrimo, je travaille environ deux heures par jour à un manuscrit de roman, mon premier. Je ne sais pas encore où j’en suis de l’aventure, mais j’avais envie de faire un point d’étape, avec six leçons que je tire de ces six mois de travail. Pas pour procrastiner, non… D’accord, peut-être un peu. Ce qui m’amène à mon premier enseignement :
1) Écrire tous les jours, tu essaieras
Le habit-building (création de nouvelles habitudes) est un thème récurrent de la littérature de développement personnel nord-américaine, avec son lot de conseils pour créer des habitudes vertueuses : boire un litre d’eau au réveil, écrire mille mots par jour, méditer en faisant des pompes. Le genre semble moins développé en France, et il me file parfois de l’urticaire. « 452e jour d’affilée à écrire #writinggoals », ça fait plus décompte des jours en prison que liberté créative, en ce qui me concerne.
Et pourtant… Si j’écrivais seulement quand l’inspiration toquait à ma porte (ou à ma tempe), j’en serais peut-être à trois pages par mois. Je n’ai certes pas de date de rendu pour mon manuscrit, mais j’aimerais l’avoir fini avant la retraite. Je m’astreins donc à deux heures d’écriture chaque matin, en regroupant si possible mes activités professionnelles après 11 heures - l’avantage de travailler en indépendante. (Le revers de la médaille : si je n’écris pas, une certaine agitation persiste pour le reste de la journée. D’habitude vertueuse à mauvaise conscience contre-productive, il n’y a qu’un pas.)
2) La variation subtile, tu accueilleras
Écrire selon une routine porte ses fruits, certes. Mais pour que celle-ci ne devienne pas synonyme d’ennui, il faut faire preuve de ruse. Écrire à l’ordinateur permet un gain de temps certain mais encourage les détours par les réseaux sociaux ? J’essaie d’écrire quelques jours d’affilée sur un grand cahier d’écolier. Rien ne vaut la musique classique pour se concentrer mais son sérieux m’étouffe ? Je fais un détour par l’électro. Marre du bureau ? Je m’installe dans la cuisine.
Rien de spectaculaire, et loin d’une formule magique de la productivité. Mais ménager une part de surprise dans son rituel d’écriture peut donner un entrain bienvenu les jours de petite forme.
3) Ton instinct, tu écouteras
Une des choses que j’ai apprises, rivée à ma table, c’est que l’inspiration vient en écrivant. Pas de révélation sous la douche pour moi. Après tout, même le fameux (et apocryphe) « eurêka ! » d’Archimède dans son bain est né de la fatigue d’heures de réflexion « classique ».
On classe souvent les auteurs en improvisateurs ou planificateurs, avec tout un vocabulaire intermédiaire : architectes, jardiniers, explorateurs, magiciens, bricoleurs… Je me vois plutôt comme une improvisatrice sur plan : j’ai une idée d’où je veux aller, mais les personnages et les rebondissements prennent forme au fur et à mesure de l’écriture. Je me laisse porter, et c’est parfois proche de la magie. Mais une magie avec pas mal de fils qui dépassent du chapeau.
Voilà comment je me retrouve au bout de 40 000 mots (sur un objectif de 50 000, la taille “minimale” d’un roman), à ne pas savoir comment toutes les pistes que j’ai balancées dans les chapitres précédents vont se raccorder dans mon final. Vous sentez la panique poindre ?
4) La réécriture, tu ne craindras pas
Je vais vous avouer un truc : quand je me suis lancée dans ce projet, je rêvassais déjà d’une publication au bout d’un an, les bonnes critiques, et la vente des droits à Netflix (je sais, ça craint). Au bout de quelques mois, mes rêveries ont fait un sérieux passage à la machine, en mode essorage : « aller, si je finis le premier jet, et que j’ai le courage de réécrire deux fois, trois fois, quatre fois, de l’envoyer à des maisons d’éditions, de me prendre des vents, de commencer un deuxième manuscrit, ça sera déjà formidable.»
Plus j’avance, plus je vois le chemin à parcourir serpenter devant moi. Et le sommet de la montagne s’éloigner au lieu de se rapprocher. Je me rends compte que mon approche va nécessiter un travail de réécriture conséquent, et que mon premier jet ressemblera plus à un tas de glaise qu’à une sculpture (non, même pas à un cendrier). Parfois, ça m’aiguillonne. Parfois, ça me déprime.
Ce que j’ai fait pour l’instant : relire le manuscrit en annotant les changements à faire plus tard, et continuer l’écriture en faisant confiance à l’instinct pour trouver mon dénouement. Et les motivations de l’antagoniste. Et le fonctionnement d’un objet magique central à l’intrigue. Et la cohérence interne de l’univers. Pas de panique, rappelez-vous la règle n°2.
5) Les retours, tu accueilleras
À rebours des conseils de Stephen King, qui recommande de ne montrer son manuscrit en cours d’écriture à personne, je partage des extraits de mon manuscrit dans le cadre de mon club d’écriture et des chapitres entiers pour un atelier au long cours à l’école Les Mots. Avoir un aiguillon et des retours en cours de route m’est précieux, même s’il est parfois frustrant d’avoir la sensation d’écrire contre la montre ou de recevoir des retours négatifs sur le style d’un chapitre déjà retravaillé… que je ne suis pas sûre de garder si l’intrigue évolue.
Je vais vous faire une autre révélation : je suis extrêmement susceptible, et je voudrais que tout ce que j’écris rencontre une approbation universelle dès le premier jet. Autant vous dire que j’ai plus de chance de remporter le prix Goncourt avec un roman choral en langage SMS que de réaliser ce rêve. Qui est de plus contraire à la vie de tout projet artistique : c’est par tâtonnements que l’on crée une forme « aboutie ». Je considère donc mes partages en cours de projet comme une sorte d’homéopathie, pour m’habituer en douceur à la douloureuse, mais fructueuse, remise en question.
6) T’amuser, tu n’oublieras pas
Vous l’aurez compris : je suis à un tournant dans l’écriture de mon manuscrit, qui va avec son lot de doutes et de découragement. Je me demande certains matins pourquoi je me suis lancée dans une aventure aussi incertaine. Puis je me rappelle pourquoi je passe toutes ces heures à écrire, et tous ces mois à me demander ce qu’il y a dans un œuf porteur de souvenirs.
Parce que même si ce n’est pas drôle tous les jours, c’est un jeu. Un jeu avec les mots, un jeu avec mon passé, un jeu avec mon imaginaire. Et on sait tous que ce qui compte dans un jeu, ce n’est pas de gagner. C’est de participer.