Découvrez l'interview d'un auteur et éditeur à la réflexion profonde : Pierre Bruder. Sa vision du métier d'auteur, son approche de l'écriture thérapeutique, ses recommandations aux auteurs en devenir.
Quel regard portez-vous sur le métier d'auteur ?Qu'est-ce qu'être auteur aujourd'hui selon vous ?
Pour Pierre Bruder, “auteur, c’est être auteur de quelque chose”, sans notion professionnelle qui s’y rattache. A ne pas confondre avec écrivain dont écrire est le métier. Il y a donc deux termes qui désignent chacun une réalité, au contraire de la peinture par exemple, qui ne fait pas de différence de terminologie entre le peintre amateur et le peintre professionnel.
“Pour un auteur, l’écriture ne lui prend pas la majorité de son temps et n’est pas son revenu principal. L’écrivain lui a cela dans le sang, c’est celui qui écrit.”
Sur cette question de vocabulaire, Pierre Bruder se considère comme auteur et non comme écrivain. “Je ne suis ni écrivain de métier ni de vocation” mais comme quelqu’un favorable à l’écriture, qui peut vivre sans écrire.
Comment êtes-vous devenu auteur ? Quel a été votre parcours jusqu'à présent et comment l'analysez-vous ?
Pierre Bruder, alias Bernard Fauren, se définit comme un auteur du net, c’est-à-dire né en tant qu’auteur avec internet. Le net ayant fait son essor durant les années 90, il a démarré en tant qu’auteur au début des années 2000. “Je rendais publics mes écrits. J'ai aimé ce retour presque immédiat des lecteurs. C’était le fond qui prévalait sur la forme, les gens partagaient leurs textes facilement.”
Pierre Bruder n’avait pas vocation à publier sur papier mais, par la force des choses, il y a été mené. Les personnes se plaignaient de devoir lire des romans sur écran et avaient besoin d’un roman papier. Les débuts se sont faits sur le site Alexandrie en projet collectif d’une petite dizaine d’auteurs du net dont Pierre Bruder faisait partie. Une dispute avec le webmestre fut le signal de départ pour huit d’entre eux ; et l’élément déclencheur pour former un véritable collectif d’auteurs. Ce fut le début des éditions Brumerge.
“Divorcé et vivant seul, je traversais aussi un moment difficile. À l’époque, l’écriture fut une thérapie pour moi, même si c’est beaucoup le cas aujourd’hui.”
Pierre Bruder a mille visages et son parcours reflète cette polarité par un kaléidoscope d’expériences : marionnettiste, des expériences dans le cinéma, ou encore dans l’accompagnement de malades en fin de vie.
Et cette diversité, cette intensité, se retrouvent dans ses œuvres, notamment dans son roman fragmentaire Sur les traces de Kali, publié aux éditions Brandon. “J’aime le flou même si ça ne plaît pas à tout le monde” avance Pierre Bruder en qualificatif pour ce roman original, hors du temps, dont le lecteur suit le cheminement par pointillés et sauts dans le temps. Cette œuvre s’apprécie autant par ce qui est écrit que par ce qui est tu, ce qui se devine entre les lignes et les zones volontairement laissées dans l’ombre.
“J’ai écrit deux romans avant Kali, dont un ressemblait beaucoup à La route de Cormac McCarthy.” Et tous ont exploité ce flou qui est cher à Pierre Bruder.
Et maintenant, quels sont ses projets littéraires ?
“Vous connaissez l’histoire de l’âne de Buridan ? L’âne hésite entre deux picotins d’avoine mais, incapable de choisir, il meurt de faim. Je me retrouve dans ce paradoxe car j’hésite entre deux projets d’écriture même si Caroline (Nicolas) me pousse à écrire.”
Avez-vous rencontré des obstacles ou des épreuves dans votre parcours d'auteur et comment les avez-vous traversés ?
“Pour moi, c’est le contraire. Ce sont justement les épreuves qui me donnent envie d’écrire. Dont j’ai besoin pour écrire.”
Pour Pierre Bruder, c’est la publication qui constitue une épreuve. “D’un côté, je revendique une écriture thérapeutique alors pourquoi diable porter cela aux yeux du public ?”
C’est la question que tout le monde se pose : pourquoi, à un moment donné, souhaite-t-on rendre cela public ?
Pierre Bruder met également en avant l’effort à fournir pour rendre les écrits publiables car un certain format est exigé. “C’est toute la difficulté d’écrire avec le souci d’être lu” tenant ces propos de sa rencontre avec Caroline Nicolas.
C’est se rappeler qu’écrire et publier sont deux actions bien différentes : “distinguer les deux permet d’encourager les gens à écrire”.
À quoi ressemble votre quotidien d'auteur ? En quoi consiste votre rythme d'écriture, vos habitudes ?
“Pour écrire, je suis incapable de bâtir un plan. Je rédige des textes de quelques lignes ou quelques pages puis j’effectue un court résumé de chacun. Lorsque j’en ai quarante ou cinquante, je les étale devant moi et je m’interroge sur ce que je peux en faire.”
Pierre Bruder qualifie ses écrits d’évasions, de fuites, à l’image de road movies. C’est une écriture fragmentaire, projetée vers l’avenir mais aussi vers le passé, dont émerge une cohérence poétique.
Quelles sont vos "mauvaises habitudes" ou axes d'amélioration en écriture et que faites-vous pour y travailler ?
“En soi, les répétitions ne me gênent pas du tout, j’en fais beaucoup. Et j’écris souvent à la première personne, il m’est difficile de varier.”
Par ces mots, Pierre Bruder démontre une connaissance de ces particularités d’écriture, dont il a tendance à jouer, à assumer pleinement comme éléments constitutifs de son style.
“Je ne me vois pas écrire autrement. Je ne me vois pas écrire comme un autre.” Il n’est donc pas tellement question de mauvaises habitudes mais bien de distinctions, qui lui permettent d’être lui-même en écriture, non pas un autre.
Pierre Bruder apprécie l’exercice de copie en écriture, comme le font les élèves peintres en copiant les tableaux de maîtres. Apprendre à écrire comme Victor Hugo pour prendre conscience de son propre style, et du sien.
“Je suis plus dans le dialogue que dans la description, qu’il s’agisse de dialogue intérieur ou entre les personnages.”
Selon vous, quelle place doit ou peut tenir la formation en écriture dans le parcours d'un auteur ? Doit-on continuer à se former une fois publié ?
Selon Pierre Bruder, pour celui ou celle qui veut vraiment devenir écrivain, la formation est essentielle mais cela va à l’encontre des idées préconçues de “pour être édité, il ne faut rien payer”.
La formation lui paraît indispensable en écriture, “bien plus que ce que je pensais avant de connaître les ateliers de Brandon & Compagnie”.
Pierre Bruder, en étant déjà publié, a suivi un grand nombre d'ateliers découverte : “j’ai pris cela comme un jeu, faisant un peu le cancre mais cela encourageait à écrire.”
Il prouve ainsi qu’être déjà publié n’est pas un critère pour se former ou non, car la formation doit être accessible à tous et il existe toutes sortes de formats, ponctuels ou continus, spécifiques ou qui enseignent les bases.
Pierre Bruder regrette seulement que le coût de ces parcours, qui peuvent paraître élevés pour certaines personnes, ne fassent pas l'objet d'une prise en charge (une sorte de bourse).
Quelle a été la nature de votre relation avec votre/vos éditeur/s ? Comment percevez-vous le travail éditorial ?
“Par le passé, j’ai pu avoir accès à des manuscrits qui ensuite ont été publiés par de grandes maisons d’édition. Et je me suis amusé à comparer le décalage entre manuscrit et version finale.”
Pour certaines œuvres, cela se joue parfois uniquement sur le remplacement de certains mots par des synonymes, comme s’il était plus question de laisser sa patte en tant qu’éditeur sur le texte. Par principe.
“Mais tout cela, c'était bien avant le travail éditorial avec Caroline (Nicolas). Ce travail m'intéressait déjà et j’ai pu m’y plonger avec elle, même si je n’ai pas toujours compris les compléments d’information qu’elle me demandait. Je crois qu’elle cherchait ainsi à obtenir les contours du récit.”
C’était parfois des éléments pour mieux comprendre le contexte même s’ils n’allaient pas se retrouver dans texte final, ou des passages à développer encore. “Le processus éditorial m’a fait du bien. Ce fut thérapeutique tout en réussissant à ne trahir personne et j’en suis content.”
Sur les traces de Kali étant un texte aux dimensions autobiographiques, il était important pour Pierre Bruder, de ne pas nommer les personnes, de ne pas trahir leur vécu, d’avoir conscience des conséquences possibles de rendre ce récit public.
“Kali suppose des bulles et, à l’intérieur de chacune, il y a des non-dits”. Comme une boucle, une écriture par fragments.
Auteur et éditeur : qu'est-ce que cela change ?
"Être édité m’a apporté beaucoup de recul sur la publication”. Pierre Bruder avait pourtant déjà publié une quarantaine de personnes, sans compter les recueils.
Pour lui ou les auteurs qu’il publie, un adage lui tient à cœur : “ne s’attendre à rien de la publication. Je les préviens qu’ils ne doivent pas trop attendre de la publication de leur ouvrage.”
Vu l’investissement de certains auteurs, Pierre Bruder préfère les prévenir pour leur éviter une trop grande désillusion. “Même si c'est un chef d'œuvre, s’il n’est pas publié aujourd’hui par une grande maison d’édition, cela n’ira malheureusement pas loin.”
Quels conseils avez-vous pour des auteurs en devenir qui souhaitent concrétiser leurs projets et même se professionnaliser ?
“Ecrire le plus possible et suivre une formation s’ils en ont la possibilité”. En bref, travailler.
Pierre Bruder recommande aussi de tester ses textes auprès de lecteurs, que ce soit sur le net ou par d’autres moyens. Et de se rappeler qu’il y a de la place pour tous, même s’il en doute avec les années. “Parfois certains tombent dans des impasses. Ce qui guette l’auteur qui démarre, c’est le découragement.”
Il faut donc mesurer sa motivation et pouvoir faire face aux critiques qui noircissent un peu l’ego. “Mais si on a ça dans le sang, pas de doute, on continuera.”
Bonus : des maisons d'édition et des librairies à recommander ?
Pierre Bruder, en plus des éditions Brandon de Brandon & Compagnie, recommande la maison d’édition Le Bateau ivre ainsi que les éditions Diane de Selliers.
“Et si je devais me réincarner, je ferais des livres d’art”.