Camille David fait partie des personnalités du “monde de l'écriture” que je suis sur les réseaux sociaux depuis longtemps. Qu’il s’agisse de son podcast "Écrire sans ratures”, de ses projets littéraires, des contenus liés à l’écriture qu’elle produit ou encore de son activité entrepreneuriale, cette auteure en devenir multiplie les casquettes. C’est à la fois la diversité de ses activités liées à l’écriture, ses écrits en cours ainsi que sa vision du statut d’auteur qui m’ont conduits à l’interviewer. Un échange riche en prises de position et en réflexions.
Interview de Camille David, auteure, créatrice de contenus, à la tête de deux agences digitales
Comment es-tu devenue auteur ? Quel a été votre parcours jusqu'à présent ?
Comme on pourrait s’y attendre, Camille David écrit depuis longtemps. Dès ses sept ou huit ans, elle a eu à cœur d’écrire de petites histoires, parvenant au fil des années à des récits de plus en plus aboutis et une pratique plus assidue.
“J’écrivais à l’adolescence pour échapper à mes cours et à l’ennui. À cette époque, j’aimais fixer des contraintes à ma créativité. De petits exercices d’écriture, comme élaborer un récit à partir de mots donnés par mes amis”. Camille devait alors placer les mots choisis dans ses récits, ou encore tenir un exercice d’écriture contraint en temps. Au-delà de l’amusement, ces exercices lui ont permis de pratiquer, encore et toujours avec l’enthousiasme et la démesure que permet l’adolescence.
En ce qui concerne la lecture, Camille déjoue les idées reçues. Elle a souhaité à apprendre à lire très jeune, par elle-même, mais s’est désintéressée des livres jusqu’à la fin de l’adolescence. “Je n’ai pas véritablement lu avant mes 18 ans”. Comme quoi, pour certains, lecture et écriture peuvent être déconnectés ; la lecture n’amène pas forcément l’écriture. La plume peut rencontrer seule le papier.
“Mon parcours ne m’a pas amenée vers l’écriture. Elle a plutôt été la constante parmi toutes mes expériences”. Le rêve de Camille David a toujours été de devenir écrivaine, jusqu’à noter la profession dans les petites fiches que chacun a pu remplir sur les bancs de l’école primaire.
Pourtant, tous les rêves rencontrent un jour la réalité : « j’ai toujours eu l’ambition de vivre de ma plume, mais j’ai mis du temps à comprendre que cela ne passerait pas seulement par la fiction ». Et le déclic est véritablement survenu ces dernières années, alors que Camille lançait son activité entrepreneuriale d’agence digitale.
“C’est un travail (celui d’auteur) pour lequel on nous vend du rêve. J’ai mis du temps à revenir sur terre. Je vis aujourd’hui de ma plume mais ce n’est pas à date grâce à la fiction.”
Un pragmatisme qui lui permet aujourd’hui de concilier ses projets littéraires avec ses activités rémunératrices dans la production de contenus.
Qu’est-ce qui a conduit Camille à la création de contenus qu’elle conduit aujourd’hui, auteure et entrepreneure à seulement vingt-cinq ans ? Un bac obtenu à seize ans, des études avant de psychologie puis école de cuisine (Ferrandi), avant d’obliquer vers la communication et le marketing digital, preuves que tout parcours peut mener à l’écriture.
Car ces sept dernières années, Camille a écrit et publié plusieurs ouvrages. D’abord une nouvelle “De père en fils” lors du lancement d’Edilivre à la suite d’un concours de nouvelles, puis d’autres en autoédition — notamment “Prochain arrêt” — avant de participer à une anthologie d'Évidence éditions sur le thème “3 secondes avant de mourir”. Et en parallèle, l’écriture de trois romans dont “Les Quatre Mondes”, un diptyque de fantasy, et “La Mer est calme”, un roman contemporain écrit à l’automne pour son premier jet.
Pour tous ses projets, la publication est un plus mais non une réalisation en soi. « Je n’ai pas une ambition éditoriale exacerbée. Je n’écris pas de bouquins pour être publiée ». Pour Camille David, la vraie réalisation se situe avant tout dans l’écriture et la finalisation de ses manuscrits. Que d’autres puissent les lire un jour, ou non.
Ce raisonnement revient surtout à placer le plaisir d’écrire avant toute chose et de diminuer la pression que peut faire peser toute ambition de publication.
« C’est le plaisir de l’expérimentation. S’ouvrir des portes, tester, sans forcément en faire quelque chose à chaque fois. On peut vouloir se mettre à la poterie sans forcément prévoir de vendre ses œuvres en ligne ».
Quel regard portes-tu sur le métier d'auteur ? Qu'est-ce qu'être auteur aujourd'hui pour toi ?
Pour Camille David, être auteur suppose avant tout quelqu’un qui transmet quelque chose : « un messager qui transmet de l’information, des émotions, qui rend compte de son époque à l’instar des auteurs naturalistes en leur temps ».
En ce qui concerne le fait d’être auteur, l’important est avant tout d’en parler en tant que métier : « être auteur en France aujourd’hui, c’est aussi être le maillon oublié d’une longue chaîne culturelle qui, pourtant, ne pourrait pas exister sans eux ». Et Camille a raison d’évoquer ici les auteurs au sens large du terme : illustrateurs, créateurs, écrivains.
Camille éprouve la même révolte que moi, la même révolte que la plupart des auteurs en France quant au fonctionnement du secteur de l’édition : « j’ai encore du mal à comprendre que certains se fassent autant d’argent sur le dos des auteurs qui sont pourtant porteurs de la culture française. Les lecteurs ne savent pas à quel point la plupart des auteurs sont traînés dans la boue tant on ne reconnaît pas en coulisses leur valeur, leur travail comme un vrai métier ».
Et c’est un cri du cœur qu’il faut porter haut et fort, jusqu’à ce que la situation change.
Camille David appuie également sur le fossé ressenti entre « ceux qui prennent les décisions » — les maisons d’édition les plus importantes, les distributeurs dominants — et les auteurs qui, eux, ont conscience des compétences, de la concentration, de l’abnégation qu’exige leur métier.
« Les consultants sont bien payés à l’heure, y compris lors des phases de recherche, alors pourquoi les auteurs sont-ils encore seulement rémunérés au résultat pour la plupart ? J’ai encore du mal à comprendre qu’on en soit là en 2021 ».
Camille repose l’une des questions centrales des enjeux du métier d’auteur en France : « pourquoi ceux qui produisent, distribuent et vendent des livres sont-ils mieux rémunérés et reconnus que ceux qui les écrivent ? »
Une note d’espoir se profile à mesure que des projets d’édition alternative émergent : « je pense que cela va se réinventer. Je ne vois pas comment les auteurs peuvent bouger les lignes. » L’enjeu est donc celui d’une alliance : entre auteurs et projets éditoriaux novateurs, entre auteurs et libraires indépendants, entre auteurs et maisons d’édition libres et justes dans leur considération du travail d’auteur.
« Pour cela, il faudra dépasser la dichotomie édition traditionnelle élitiste vs auto édition de pauvre qualité, au global. »
À quoi ressemble-t-on ton quotidien d’auteure, ta pratique d’écriture ?
Le quotidien d’écriture de Camille David varie en fonction des périodes de création, entre intenses premiers jets et phases de réécriture.
En période de création intense qu’est le premier jet d’un manuscrit, Camille peut écrire jusqu’à trois ou quatre heures par jour. « Les horaires peuvent varier, mais dans ces périodes, je place l’écriture en priorité ». Écrire n’est alors pas une simple ligne dans sa to do list mais bien un incontournable de son quotidien.
Le « rush d’écriture » connu à l’automne dernier, surfant sur la vague annuelle du Nanowrimo, procura un véritable cadre d’écriture à Camille pour la rédaction de son dernier manuscrit. La formule ? Une mobilisation de sa communauté autours de sessions live sur la plateforme Twitch, à raison d’une à deux heures par jour, chaque jour de la semaine sur le mois de novembre. « Cela m’a beaucoup aidé. Avec le téléphone coupé, tu ne peux faire qu’écrire ».
En période de réécriture, le rythme est moins dense et l’écriture n’est plus la seule priorité, en concordance avec des phases de travail plus intenses. C’est alors plutôt quelques heures par semaine que Camille consacre à ses écrits, tout en conservant a minima un créneau par semaine : « je fais comme je peux et comme je veux ».
Cela souligne l’importance d’accepter la variation des rythmes et des intensités d’écriture à l’échelle d’un mois ou d’une année. La plupart d’entre nous devant conjuguer écriture avec des postes à plein temps, il s’agit de se rendre à l’évidence : l’écriture ne peut pas toujours prendre le pas sur le reste, tout comme elle ne doit pas être reléguée en fin de liste continuellement si l’on souhaite avancer.
En termes de quotidien d’écriture, Camille David mobilise le concept de « bulle créative ». Un espace, des réflexes, des habitudes qui, à force d’être réunis, déclenchent une sorte de réaction de Pavlov : notre cerveau comprend qu’une session d’écriture est lancée. Pour Camille David, sa bulle créative repose sur quelques critères simples : un endroit calme, un ordinateur, une boisson chaude, de la lumière tamisée si possible et de la musique (une playlist en lien avec son manuscrit souvent). Pour d’autres, leur bulle reposera au contraire sur le silence le plus total ou sur l’écriture en pleine nature : l’essentiel est de pouvoir booster sa créativité au travers de ce déclencheur psychologique.
As-tu rencontré des obstacles ou des épreuves et comment les as-tu surmonté ?
Pour Camille David, un obstacle lui vient tout de suite à l’esprit. La perte du goût d’écrire il y a quelque temps : « l’écriture n’était plus vraiment un plaisir en raison d’une trop grande pression ».
Nous vivons dans une société où il faut toujours faire quelque chose de ce que l’on crée. Et surtout le montrer, en particulier chez les plus jeunes générations et, bien sûr, les réseaux sociaux n’aident pas toujours de ce point de vue.
« Beaucoup de personnes aiment écrire, mais apprécient encore plus montrer aux autres qu’ils écrivent. » Pour Camille, beaucoup de personnes écrivent aujourd’hui pour de mauvaises raisons.
Il faut alors revenir à l’essentiel ; aimer écrire, au-delà de la publication et s’assurer que « même si l’on ne signe jamais chez Flammarion ou Gallimard, on est certains de considérer notre vie comme réussie. Que notre bonheur, notre satisfaction ne dépendent pas de la publication chez certains grands noms. »
À une époque, Camille en est venue à douter et donc à perdre le plaisir d’écrire au profit d’une trop grande pression.
L’autre challenge demeure bien sûr d’écrire au quotidien, en conjuguant ses diverses activités. « L’écriture de fiction n’est pas ma priorité aujourd’hui tout simplement parce que cela ne me fait pas vivre ». Ni aujourd’hui, ni demain d’ailleurs.
Mais nous aurions tort de ne pas souligner que les deux peuvent être combinés au quotidien : à condition d’être conciliant avec soi-même, flexible, et bien organisé.
Nous touchons alors au sujet de l’ultime réconciliation : celle des enjeux financiers que rencontrent les auteurs, souvent ignorés du grand public, avec la dimension créative de leur métier. Oui, les auteurs ont besoin de vivre comme les autres.
Au fond, « le sujet se situe sur la dimension de travail. Aujourd’hui, nous n’accordons pas travail et plaisir. Si tu éprouves du plaisir à écrire, tu ne travailles pas. C’est un loisir. Mais pourquoi ne pas pouvoir les combiner ? ».
Comment gères-tu à la fois ton activité entrepreneuriale, la création de contenus dédiés à l’écriture et tes manuscrits ?
Comment gérer au quotidien l’écriture et tout le reste ? Camille a l’avantage de se connaître extrêmement bien et de pouvoir se reposer sur ses talents en organisation. « C’est la clé, le plus important pour l’auteur moderne qui, par définition, a un autre travail à côté et souvent une famille. »
C’est aussi ce qui lui permet de mener ses projets de front, aidée d’outils tels que la solution Notion, couplée à son agenda digital pour gérer son emploi du temps de la semaine, du mois.
Un défi qui reste à relever ? « J’ai encore tendance à sous-estimer les tâches que j’ai à réaliser. Il me faut encore progresser sur ce plan. »
L’enjeu est alors de bien s’organiser au quotidien en évitant d’emplir chaque tranche horaire de tâche à mener, sans répit. N’oublions pas que créativité rime plus souvent avec langueur et spontanéité qu’avec organisation au cordeau.
As-tu de mauvaises habitudes en écriture ? Que fais-tu pour t’améliorer ?
Camille David n’hésite pas lorsque je lui pose la question : « les adverbes encore et toujours. J’en intègre encore trop. »
Une autre ? Le « show don’t tell » que Camille rencontre surtout en fantasy. Qu’est-ce ? L’art de suggérer plutôt que de tout détailler noir sur blanc au lecteur, d’évoquer par une image, une situation, un détail plutôt que de dire sans détour en retirant tout suspense, toute ambiguïté, toute saveur au récit.
« Je me suis lancée avec “Les Quatre mondes” dans la fantasy sans me poser de limites. À la relecture, je me suis rendue compte que j’en disais trop, que je devais faire plus porter des éléments aux personnages et à la narration, de manière plus discrète ».
Camille aime apprendre de ses erreurs : « je m’y prendrai différemment pour le tome 2. Et je vois tout de même une évolution au fil des années ».
Pour ce qui est d’autres mauvaises habitudes, la question de la différence entre défauts d’écriture et style de l’auteur se pose. Quelle torsion de la langue est volontaire et laquelle est une maladresse ? Pour Camille David, au-delà des enjeux d’orthographe et de grammaire basiques, la question reste grandement subjective.
Selon toi, quelle place doit ou peut tenir la formation en écriture ?
Sur cette question, un débat s’est engagé entre Camille et moi sur la notion même de « formation ». Qu’entend-t-on par ce terme et que suppose-t-il pour les auteurs en devenir lorsqu’il s’agit de se former, ou non, à l’écriture ?
Pour Camille David, la question de la formation ne se pose pas. « Au-delà des techniques de base, j’ai du mal à appréhender que ce soit utile, encore moins indispensable ».
Le terme « formation » la gêne car il met en avant, pour elle, la notion de compétences à acquérir qu’elle souhaite ne pas appliquer à l’écriture car pour elle, il s’agit surtout de contraintes, sans garantie de succès.
« Même si quelqu’un suit toutes les étapes d’une formation, il n’y a pas de garantie que ce soit un bon livre ».
Mais la garantie n’est pas plus forte, voire plus faible, de ne pas suivre de lignes directrices à ses débuts, pour se structurer au moins.
La conviction de Camille se situe plus proche du coaching, d’un accompagnement le plus personnalisé possible : « avec mon activité de mentorat, je donne des pistes que chacun choisit d’explorer ou non ».
C’est donc bien s’opposer, non pas aux formations en général, mais à celles qui promettent monts et merveilles, celles qui imposent, celles qui encadrent mais étouffent la créativité. Heureusement, de nombreux parcours sont loin de cette réalité et peuvent constituer de véritables socles pour tout auteur en devenir.
Quant au fait de continuer à se former après avoir été publié, là encore Camille répond sans hésitation : « il ne faut jamais arrêter d’apprendre et la publication, à nouveau, n’est pas une fin en soi surtout dans un contexte où elle se démocratise beaucoup avec l’autoédition digitale ».
Es-tu plutôt autoédition ou édition traditionnelle ?
Aujourd’hui, Camille David penche pour l’édition traditionnelle (à compte d’éditeur). Pour elle, l’éditeur ne doit pas se résumer à un (beau) nom placé sur la couverture d’un livre ou en signature d’une préface ; ce doit avant tout être un professionnel doté de réelles compétences complémentaires et utiles à l’auteur. L’enjeu est de taille : transformer un manuscrit en livre.
L’éditeur doit savoir ce qui est adapté à la cible visée et comment communiquer lors du lancement du livre mais aussi dans le temps. De ce point de vue, édition et marketing doivent faire bon ménage.
Camille partage un exemple éloquent qu’elle a vécu par le projet de publication avorté d’un de ses romans. « Le manuscrit avait été accepté, mais ne convenait pas exactement à une cible jeunesse : trop d’introspection, un rythme trop lent, etc. Le roman était bon en soi, mais inadapté à la cible visée » et exigeait donc des changements importants. Le projet n’a pu se faire pour bien d’autres raisons, mais cela dévoile la logique éditoriale qui peut avoir lieu lorsque l’on examine et sélectionne des manuscrits. Un lecteur reste un client.
« Idéalement, on devrait publier chez Gallimard ou d’autres parce que de bons éditeurs y travaillent et on y dispose des meilleurs correcteurs. Mais pas pour la façade. » Aujourd’hui, il faudrait donc chercher l’humain éditeur et non pas le nom seulement.
Dans le match édition vs autoédition, la première l’emporte encore, car la seconde n’est pas encore assez qualitative pour être compétitive selon Camille.
Existe-t-il des clés pour séduire son audience ?
« Être soi-même, c’est la seule clé ». Pour Camille, il s’agit de montrer qui l’on est, de ne pas mentir sur soi, au risque d’adresser une audience friable qui ne nous ressemble pas.
« Renvoyer une image qui n’est pas la nôtre nous enferme et ne fera qu’attirer des personnes en phase avec cette (fausse) image et non pas avec qui l’on est vraiment ». Camille porte cette conviction au quotidien : l’authenticité permet de durer.
« Comment peut-on se tromper si l’on est soi-même et que l’on parle de ce que l’on aime ? »
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Crédits photo : Camille David