Quel a été ton parcours ? Comment es-tu devenue autrice ?
Anaëlle Chaudet a démarré l’écriture par des échanges épistolaires, à un âge où la frénésie des messages par téléphone régnait : “avec ma cousine, jusqu’à vingt ans, au lieu d’échanger par textos, on s’envoyait des lettres. Cela m’a donné le goût d’écrire, le goût des histoires.”
Avant de laisser de côté l'écriture jusqu’à ses vingt-cinq ans, une chaude journée de 2015. “Réfugiée dans une église pour y trouver un peu d’air frais, j’ai été frappée par une stature de l’archange Michel terrassant le dragon. Une histoire m’est venue sur l’instant, comme une fulgurance.”
Une histoire d’anges comme un déclencheur à sa reprise de l’écriture, une histoire qu’elle s’est empressée de poser sur le papier. “J’ai également commencé à chercher des conseils en écriture sur internet, ce que je n’avais jamais fait auparavant.” Et la reprise de l’écriture lui est restée.
C’est à partir de ce moment-là qu’Anaëlle Chaudet a dû concilier écriture et travail à temps plein, d’abord dans le privé puis dans la fonction publique avant de revenir aux ressources humaines.
Ce sont des concours d’écriture qui lui ont souvent servi de moteurs de motivation, à l’instar de son projet d’écriture en cours, démarré à l’occasion d’un concours Pocket jeunesse : “le thème était mille et une voies. Je n’ai vu le concours qu’un mois avant la date limite. Je savais que je n’aurais pas le temps de le rendre mais j’ai profité de l’occasion, le thème m’a inspiré.”
Auto-édition ou édition traditionnelle ?
“J’aimerais faire les deux dans ma vie, car je pense que les deux sont différents.” Anaëlle Chaudet perçoit une vraie valeur à expérimenter chaque processus de publication, avec une préférence pour l’autoédition concernant son premier roman.
“Pour le premier j’ai envie de tout voir par moi-même, de mener le projet jusqu’au bout. Jusqu’à la mise en page, et la promotion de l’ouvrage.” Et donc tenir un grand nombre de rôles dans l’édition, successivement : écrivaine, éditrice, communicante.
L’idée est de viser l’édition traditionnelle dans un second temps et de se servir de l'auto publication à la fois comme champ d’expérimentation et comme tremplin. “Avec l’écriture, on peut viser à long terme. Plus on écrit, plus on se bonifie avec le temps.”
Et la bêta lecture ?
Quitter la fonction publique avant de retourner dans le privé fut l’occasion de se replonger dans le monde de l’écriture pour Anaëlle Chaudet. Une période d’entre-deux propice à l’ouverture au monde et à la création.
D’abord par son compte Instagram Bleu Charrette et Crocodile, dédié au partage de conseils d’écriture, avec l’envie d’échanger avec d’autres passionnés. “Sur Instagram, la petite communauté de l'écriture est très bienveillante. J’ai commencé petit à petit à créer des posts de plus en plus qualitatifs et fouillés. Je me suis prise au jeu.”
Pour la bêta-lecture, l’envie de lire de nouveaux auteurs, non encore publiés, est venue en 2018 par l’adhésion à des groupes Facebook. “Je trouve ça génial de lire un livre qui sera peut-être publié plus tard et que notre avis a pu compter un peu dans sa construction et participer à son succès.”
Ayant démarré en bêta-lectrice par plaisir, Anaëlle s’est rapidement rendue compte que ses retours étaient bien plus approfondis et organisés que la plupart des bêta-lecteurs. Et les auteurs en devenir s’en rendaient bien compte et le lui partageaient. “J’ai été surprise des retours que j’obtenais. J’envoyais des notes de plusieurs pages, sans comprendre pourquoi les personnes étaient aussi enthousiastes à propos de mes bêta-lectures. J’ai ensuite compris que beaucoup de personnes proposaient de lire mais ne le faisaient pas ou alors ne rédigeaient que deux ou trois phrases pour dire qu’ils avaient aimé ou non.”
Expérimentée dans la rédaction de notes et rapports par ses expériences dans le public et le privé, Anaëlle Chaudet a créé son site fin 2020, dédié à ses activités de bêta-lecture. “Je me suis professionnalisée avec le temps. Aujourd’hui, je passe une dizaine d’heures en moyenne sur un manuscrit pour rendre un avis en deux ou trois semaines. J’apprécie la dimension entrepreneuriale du projet, comme toi avec Je suis auteur.”
Comment conduis-tu une bêta-lecture d’un roman ?
Anaëlle Chaudet le souligne, la bêta-lecture est un sujet encore peu connu du grand public et même des auteurs en général. “Peu de personnes passent par des bêta-lecteurs. Ils demandent plus souvent à un proche de relire, ce qui est complètement différent.”
Que les personnes la contactent sur son site ou via Instagram, un premier échange de contextualisation est essentiel : “ je les appelle avant de démarrer la bêta-lecture pour comprendre le contexte et les besoins, pour prendre en compte les points d’attention à avoir et les attentes de l’auteur. Cela me tient à cœur de personnaliser la bêta lecture le plus possible.”
La diversité des œuvres à relire justifie pleinement cette exigence : les besoins sont loin d’être les mêmes entre un premier jet, pour lequel les grands axes sont à valider et qui suppose encore beaucoup de travail, et un manuscrit finalisé auquel il ne manque que quelques ajustements.
Pour Anaëlle Chaudet, la bêta-lecture, et la note qui en découle, se construisent par lectures successives : “la première lecture est fondamentale car elle reflète ce qu’un lecteur lambda percevra. Je prends déjà des notes lors de ce premier passage car, dès la deuxième lecture, on perd la sensation de découverte.”
Au-delà des observations, Anaëlle Chaudet se démarque aussi par les axes d’amélioration et les recommandations d’écriture qu’elle intègre à ses rapports.
Quelle est la différence entre correcteur et bêta-lecteur ?
Ce sont tout simplement deux métiers à part mais complémentaires et Anaëlle Chaudet l’explire en termes clairs : “le correcteur va surtout s’attacher à la syntaxe, l’orthographe, la grammaire, et la forme en général. Il ou elle s’attachera peu au fond du récit, contrairement au bêta-lecteur. Ce dernier s’intéresse à la narration, à la solidité et à l’efficacité du récit : est-ce que les intrigues fonctionnent ? Est-ce que les personnages sont crédibles et cohérents ?”
Bien sûr, si elle repère des problèmes de syntaxe ou des fautes récurrentes, Anaëlle Chaudet les souligne mais elle n’aura pas une vocation d’exhaustivité dans cette démarche.
“Les deux rôles sont nécessaires pour obtenir un manuscrit finalisé et bien construit.”
Est-ce un avantage ou un inconvénient d’être à la fois bêta-lectrice et autrice ?
“Je suis trop dure avec moi-même, sans cesse en train d'auto analyser ce que j'écris. Je suis déjà restée bloquée plusieurs mois à cause de cela.”
Anaëlle Chaudet travaille à prendre de la distance tout en tirant des bénéfices de son expérience en tant que bêta-lectrice : “cela m’a aussi permis de beaucoup progresser en écriture. J’ai pu prendre conscience de mes points forts et de mes erreurs en les découvrant chez les autres.”
Que la lecture permet de mieux écrire n’est pas un secret, mais l’atout ici réside dans le fait de lire aussi d’autres auteurs en devenir. “Cela permet plus facilement de mettre des mots sur ce qui ne va pas dans ses écrits quand on sent que le récit ne fonctionne pas.”
Comment jongles-tu entre tes différentes activités : écriture, travail à temps plein dans le privé, bêta lecture ?
“Je me lève tôt le matin, généralement pour rédiger ou programmer des posts. Je réserve la bêta-lecture au soir, après que mon enfant soit couché. Et trente minutes d’écriture, aussi souvent que possible.”
Des journées à rallonge donc, intenses, qui permettent de condenser l’ensemble des activités et les mener de front. Anaëlle Chaudet est convaincue de la possibilité de saisir chaque moment, même court, pour faire avancer ses projets en parallèle de son emploi dans le privé.
Quelle est ta vision du métier d’auteur ? Qu’est-ce qu’être auteur aujourd’hui selon toi ?
Pour Anaëlle Chaudet, une première certitude émerge : auteur est un métier. “C’est dommage que la société ne le considère pas comme tel. Même si c’est un métier que la plupart des auteurs ne sont pas en mesure d’exercer à plein temps.”
Pourquoi cette contrainte pour les auteurs ? C’est avant tout un manque de reconnaissance et Anaëlle Chaudet le souligne : “je trouve incroyable qu’il n’existe toujours pas de diplôme. C’est très problématique qu’il n’y ait pas de formation pour devenir écrivain. Pourtant cela s’apprend d'écrire un roman ou une pièce de théâtre.”
Nous peinons à rattraper l’avance que les pays anglo-saxons ont sur nous à ce sujet. Nous en sommes même loin, sachant que les techniques d’écriture à proprement parler sont loin d’être les seules compétences qu’un auteur doit développer : “c’est aussi un métier de recherche et de communication. Tout auteur doit promouvoir son livre, qu’il collabore avec une maison d’édition ou en auto-édition. Il.elle doit également savoir travailler seul.e et être en capacité de bien négocier ses contrats, de défendre ses droits et la valeur de ses oeuvres.”
Anaëlle Chaudet touche du doigt la pluralité des compétences qu’un auteur acquiert au fil des années, et c’est à relier aux problématiques de reconnaissance de droits sociaux et de droit du travail auxquels ils.elles font face aujourd’hui. Samantha Bailly est une figure de ces combats, par son choix de collaborer avec de petites maisons d'édition indépendantes après avoir travaillé avec les plus connues, par ses prises de parole publiques quant aux difficultés à obtenir un congé maternité digne de ce nom.
Car la reconnaissance du métier d’auteur se joue également sur ces sujets. Les auteurs ne sont pas des êtres dépourvus de vie privée et dédiés nuit et jour à la création pure.
“Plusieurs études ont été réalisées sur le statut des écrivains. Pratiquement tous ont un autre métier à côté, à temps plein, ce qui implique de consacrer ses weekends et soirées à l’écriture alors qu’il s’agit déjà d’un métier à part entière.”
Il est certain que si l’on souhaite écrire en France aujourd’hui, il faut se résigner à exercer deux ou trois métiers en parallèle, avec la dépense d’énergie et l’intensité au quotidien que cela implique.
Peut-on et doit-on se former en écriture ?
“Il faut se former tout au long de sa vie, quel que soit le métier. Pour l’écriture, j’en ai moi-même suivi une ou deux déjà. Ce sont des apprentissages intéressants même si je n’applique pas tout à la lettre.”
Ce qui compte pour Anaëlle Chaudet est de pouvoir évoluer sur la durée, à l’instar de l'écriture elle-même qui évolue avec les années : “la manière de raconter change, on écrit différemment aujourd’hui d’il y a 50 ou 100 ans.”
Même, au vu de l’absence de formations reconnues par l’état pour devenir écrivain, le parcours d’autodidacte s’impose. Certes, des masters de création littéraire ont émergé ces dernières années mais ils ne forment pas spécifiquement à ce métier, ils visent également à diplômer les futurs professionnels de l’édition.
“Il existe beaucoup de formations privées mais elles sont souvent très chères et, toujours, non diplômantes. On prend donc sur son temps personnel pour se former. Il manque une école des belles lettres, à l’instar des Beaux Arts.”
Quels sont les obstacles ou épreuves auxquels tu fais face en écriture et comment les surmontes-tu ?
“Le manque de temps et la difficulté, parfois, à tenir sur la durée. J’écris en plus d’un métier déjà à plein temps, et cela prend du temps d’écrire. Il m’arrive de m’essouffler, d’avoir l’impression de ne pas avancer.”
Pour reprendre en douceur l’écriture après des temps de pause forcés, Anaëlle Chaudet a développé une technique bien à elle : “je relis les derniers chapitres que j’ai pu écrire. Je me contente de lire et de me remettre l’histoire en tête, sans obligation. Et l’écriture revient petit à petit.”
Un autre obstacle auquel Anaëlle Chaudet a pu faire face est le passage de la phase de recherche à la phase d’écriture, notamment pour un projet de science-fiction. “Je me suis perdue dans les recherches, j’avais un document word de 120 pages et un classeur rempli de notes. J’avais accumulé tellement d’informations que je ne savais pas comment démarrer l’écriture.”
L’enjeu, sur la durée, a été de trouver l’équilibre entre travail préliminaire et rédaction.
As-tu de mauvaises habitudes en écriture et que fais-tu pour y travailler ?
“J’ai du mal à écrire lorsque je ne suis pas inspirée. J’ai tendance à vouloir attendre l’inspiration et je pense que c'est une erreur.”
Anaëlle Chaudet, à l’instar de nombreux auteurs et professionnels du livre, recommande d’écrire tous les jours. Elle apprécie le parallèle qu’elle établit fréquemment avec ses autres activités professionnelles : “lorsque l’on a une note ou un rapport à rédiger, nous n’avons pas le choix de l’inspiration. Il faut s'y mettre, sans attendre.”
C’est une notion d’auto-discipline essentielle pour tout auteur.
Quelles sont les ressources que tu recommandes ?
“J’ai de plus en plus conscience de l’abus de pouvoir dont peuvent faire preuve les grandes maisons d’édition. Et que, parfois, il n’y a pas un grand respect du travail d’auteur.”
Certains auteurs quittent même de grandes maisons d’édition après une ou deux publications pour le monde de l’auto-édition ou de plus petites maisons, déçus par les logiques commerciales et le manque d’accompagnement des acteurs renommés du secteur.
“Des figures comme Samantha Bailly permettent de sensibiliser les lecteurs et d'autres auteurs à ces sujets. C’est un choix fort de sa part d’avoir choisi de collaborer avec une petite maison d’édition pour son dernier ouvrage Parenthèses.”
Anaëlle Chaudet appuie donc ce que le site Je suis auteur défend ici : la mise en avant des plus petites maisons d’édition, indépendantes, qui valorisent mieux le travail des auteurs et adoptent plus souvent de véritables démarches écoresponsables.
Et Anaëlle Chaudet de clore l’entretien en recommandant des ressources-clés dans son quotidien d’autrice : “le site de France Culture est très riche, en particulier la section littérature et les interviews d’auteurs qu’on peut écouter. Je recommande aussi le site de la Bibliothèque Nationale de France, toujours une référence."
Et pour visiter le site d'Anaëlle Chaudet, c'est par ici.