Ayant eu l’opportunité de solliciter Laure Limongi — écrivaine, éditrice ou encore professeure de création littéraire reconnue en France — je n’ai pas hésité. Voici la première partie de cet échange, par écrans interposés, pour lequel Laure a eu la gentillesse de répondre à mes nombreuses questions. 

Cette première partie se concentre sur son parcours d’écrivaine, le métier d’auteur et ce dont les apprentis écrivains ont besoin aujourd’hui. Tout apprenti auteur y trouvera de quoi se nourrir. 

Quel a été votre parcours en écriture jusqu'à présent ? 

Je publie des textes en revues et des livres depuis 1998. À ce jour, j’ai publié onze livres, le dernier est récemment sorti, en pleine pandémie, aux éditions de L’Attente : J’ai conjugué ce verbe pour marcher sur ton cœur. Le prochain est prévu, a priori en 2021, chez Grasset. J’ai également publié de nombreux textes de création en revue, des textes critiques – sur des livres, des œuvres d’art, des albums de musique, des interventions dans des catalogues d’artistes… S’y ajoute une pratique de performance qui déploie autrement – dans l’espace, en public – mon rapport aux mots.

Quel regard portez-vous sur le métier d'auteur ?

Je le vis donc je ne suis pas sûre d’être suffisamment à distance pour y porter un regard… Ce que je peux préciser, c’est que j’ai toujours fait le choix d’exercer deux métiers de front, par crainte de la précarité inhérente au métier d’auteur, justement, et goût extrême de la liberté et de l’indépendance (A Room of One’s Own : toujours d’actualité). Donc écrivaine & lexicographe, écrivaine & assistante d’édition, écrivaine & éditrice, écrivaine & professeure de création littéraire.

Le métier d’auteur suffirait largement à emplir une vie, il requiert un engagement profond et une certaine solidité nerveuse alliée à une grande sensibilité. C’est un peu un paradoxe, il faut à la fois être à l’écoute des bruits, chants, remous du monde, comme un instrument de musique à la caisse de résonance ultrasensible, ressentir dans sa chair – parfois jusqu’à la blessure – ce qui se transformera en phrases, en pages, et avoir la force de dépasser, semaine après semaine, année après année, les abyssales phases de doute qui succèdent toujours à l’enthousiasme de l’émergence d’une forme, d’une histoire. S’accrocher à l’embarcation des jours qui se succèdent, aux lignes tracées régulièrement en défi à la peur, malgré ces montagnes russes. Savoir se servir de la solitude nécessaire à l’écriture comme une alliée et ne pas s’y perdre.

Les écrivains sont d’« horribles travailleurs », comme l’énonçait Rimbaud, et quand ils jalonnent leur vie, régulièrement, de livres, c’est qu’ils arrivent à tenir l’équilibre entre une sensibilité extrême et une solidité résolue, têtue : dépasser les tempêtes et continuer à construire des édifices sur l’écume, de l’humble radeau au grand bateau de croisière, tout ce qui pourra embarquer le lecteur dans une aventure qu’on aura choisi de lui confier. Et donc, pour ma part, tenir cet équilibre passe par une double vie, un autre travail avec d’autres rythmes, plus rassurants, des êtres humains côtoyés plus souvent – une grande frustration de l’auteur·ice peut être de ne rencontrer les lecteurs et lectrices que brièvement, à la sortie d’un livre, les musicien·ne·s, par exemple, sont davantage au contact de leur public – et une rémunération régulière, d’autant plus que j’ai la chance de pouvoir exercer des activités qui nourrissent mon travail d’écriture, même si elles me volent du temps de création…

Il serait urgent d’avoir un vrai statut social pour l’auteur, l’autrice , que ce travail, exigeant, soit vivable. Je rappelle qu’un·e auteur·e touche en moyenne 1 € par livre (grand format) vendu en littérature générale et que les droits d’auteur sont souvent versés une fois par an…

Il est incompréhensible que nous ne puissions bénéficier de l’intermittence ni même d’aide pour trouver un logement, sur le modèle des ateliers-logements pour artistes plasticien·ne·s qui prend en compte la spécificité de leur profession : ainsi, aujourd’hui, les auteur·e·s qui ne pratiquent que cette activité, qui n’ont donc pas de fiche de paie, un statut extrêmement précaire, ont les plus grandes difficultés à trouver un logement – sauf à se confier à la solidarité familiale (lorsqu’elle existe), à celle d’amis, ou à produire de faux papiers… donc être dans un statut de dépendance ou d’illégalité. C’est inacceptable. Il y a eu récemment un vaste mouvement de réformes administratives (je n’aurai pas le loisir de le développer ici, je vous invite à consulter le site très complet de la Société des gens de lettres, association qui œuvre à la défense des auteur·ice·s) qui a pour l’instant créé de grandes confusions avec la migration de la tutelle Agessa vers les URSAFF… mais on attend toujours une juste proposition, d’envergure, pour que l’auteur·e français·e, dont on aime à se gargariser dans les réceptions officielles, soit davantage qu’un souvenir teinté de fantasmes Ancien Régime : que les prochaines générations puissent prendre dignement ce flambeau, en le réinventant. En tant qu’enseignante en création, j’y suis particulièrement attentive.

De quoi ont besoin les auteurs pour passer du statut d'amateur à professionnel ? Quels conseils auriez-vous ? 

C’est une question de ressources, si l’on prend la question dans son sens propre : cela signifie que l’activité d’écriture – les ressources en droits d’auteur – est l’activité principale. Impossible, selon moi, de donner des conseils généraux : je le répète, il n’y a que des cas particuliers, pas de généralités.

Si, à la réflexion, peut être un conseil à tou·te·s : s’informer ! Se rapprocher d’associations d’auteur·ice·s (la SGDL, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, par exemple) et connaître en détail les droits et devoirs de ce statut. Ces associations mettent en ligne des dossiers sur des points essentiels comme le contrat d’édition, par exemple. Il est essentiel de comprendre ce que l’on signe – en général, on cède ses droits pour la totalité du temps de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire soixante-dix ans après sa mort, quand même ! –, on est en droit de négocier certains points. Pour ce faire, il est essentiel de savoir à quoi doit ressembler un contrat d’édition vertueux, on peut en lire une version commentée sur le site de la SGDL. Il me semble que plus les choses sont simples et claires en la matière, mieux on se porte, aussi bien en tant qu’auteur·e qu’éditeur·trice (puisque je suis des deux côtés de la frontière…) La Charte avait aussi édité, il y a quelques années, une brochure précieuse : Le contrat dont vous êtes le héros – comment négocier (seul dans la forêt) avec un (dragon) éditeur, à télécharger sur son site.

À part savoir écrire ou créer, ce qui est déjà beaucoup, de quelles compétences ont besoin les auteurs aujourd'hui ? 

De courage. De patience. Et de café.

Identifiez-vous de grands enjeux ou des tendances en matière de création littéraire ? Quel rapport peuvent entretenir les auteurs en devenir à ces tendances ? 

Évidemment, il y a toujours des airs du temps, en littérature, en création – expression pas du tout péjorative sous ma plume. On est forcément connecté aux grands enjeux sociaux, à l’histoire en marche. En ce moment, ce pourrait être, par exemple, les fictions documentaires et biofictions – c’était l’autofiction il y a quelques années. À chacun, chacune de se positionner par rapport à cela, selon ses nécessités de création propres.

Quelle est votre analyse du rapport ambivalent de nombreux auteurs à la valorisation de leur travail, la promotion de leurs œuvres auprès d'un public ? Est-ce s'abaisser en tant qu'auteur que de "marketer" son image et ses ouvrages ? Les réseaux sociaux et l'auto-édition influencent-ils cela ?

Je n’ai pas d’avis sur la question, à chacun·e de défendre son œuvre comme il, elle l’entend. Si on est à l’aise avec les réseaux sociaux, dans un rapport de proximité aux lectrices et lecteurs, tant mieux ! On a aussi le droit d’être plus sauvage et de ne pas aimer la promotion. Je trouve que porter un jugement général en la matière serait inopportun.


Laure Limongi, écrivaine, est née à Bastia, elle vit et travaille entre Paris et la Corse. Sa prédilection pour les mots, l’expression s’exprime à travers différents gestes, différents supports. En tant qu’autrice, elle a publié, depuis 2002, une douzaine de livres entre roman, poésie et essai, tels : J’ai conjugué ce verbe pour marcher sur ton cœur (L’Attente, 2020), On ne peut pas tenir la mer entre ses mains (Grasset, 2019), Anomalie des zones profondes du cerveau (Grasset, 2015), Indociles (Léo Scheer, 2012). Elle réalise des conférences performées en écho à l’univers de ses ouvrages. En tant qu’éditrice, elle a dirigé les collections « & » chez Al Dante (2001-2003) et « Laureli » chez Léo Scheer (2006-2012) et a ainsi publié une soixantaine de livres. En tant que professeure : avant d’enseigner à l’ENSAPC, elle a codirigé pendant six ans le Master de Création littéraire du Havre (ESADHaR-université du Havre). www.laurelimongi.com