Ça y est, vous avez fini votre manuscrit. Vous y avez passé des centaines d’heures dans votre coin, à écrire et réécrire, et vous sentez qu’il est prêt à être présenté au monde. Mais avant de l’envoyer à des maisons d’édition, ne zappez pas une étape : celle des bêta-lectures.

Pourquoi faire lire son manuscrit ? 

Là où un alpha-lecteur vous accompagne dès le début de la rédaction (un peu à l’image d’un coach littéraire), le bêta-lecteur découvre le texte “finalisé”. Pour autant, le bêta-lecteur n’est pas un inspecteur des travaux finis. Si vous partagez un texte, c’est parce que vous êtes prêt à le retravailler. Encore ? Oui, encore. Quand on sait que les grands éditeurs publieraient 0,05% des textes qu’ils reçoivent, autant mettre toutes les chances de votre côté. 

D’autant plus qu’après ces mois solitaires, vous êtes immergés dans votre texte, et avez du mal à prendre du recul. Telle sous-intrigue peut vous sembler limpide alors qu’elle ne l’est plus suite à des coupes, ou au contraire vous insistez sur un aspect de la personnalité de votre héros qui va lasser votre public. Seul un regard extérieur vous aidera à corriger ces défauts.

Après trois ans de travail sur le manuscrit de mon premier roman, j’ai ressenti le besoin de le faire relire avant de passer aux envois aux professionnels. Et je suis convaincue que le texte est en ressorti enrichi.

Après avoir vu le pourquoi, découvrons le comment avec un itinéraire en cinq points.

1/ Choisir ses bêta-lecteurs

Faire lire à ses proches, bonne ou mauvaise idée ? Comme souvent, la réponse est… ça dépend. Il faut trouver quelqu’un qui croit en vous et vous soutient dans votre projet, sans tomber dans l’angélisme. Entendre “c’est super, j’ai tout aimé”, fera du bien à votre ego (et c’est important !) mais ne vous permettra pas de progresser.

L’idéal : une personne qui écrit elle aussi, et dont vous pouvez également lire les textes. On s’aide toujours mieux entre pairs. Vous n’avez pas ça sous la main ?  Les communautés en ligne, comme le groupe discord du Nanowrimo peuvent être une piste. 

Combien d’avis solliciter ? Pour relire mon manuscrit, j’ai fait appel à une dizaine d’amis, principalement via mon club d’écriture. La plupart avaient suivi le projet sur la durée (à mi-chemin entre alpha et bêta-lecteurs donc), et je suis très chanceuse d’avoir pu bénéficier d’autant de relectures de qualité, de discussions et d’idées.

L’avantage d’un nombre relativement élevé de bêta-lecteurs : “quantifier” les avis. Si une remarque revenait souvent, je me disais qu’il fallait la prendre en compte. Si une seule personne la faisait (et qu’elle ne m’arrangeait pas, soyons honnêtes), je la notais dans un coin de ma tête mais ne faisait pas forcément de modification.

L’inconvénient ? Se perdre dans les opinions et ne plus savoir quelle direction suivre. Mais avec un peu d’organisation, et une idée claire sur la nature et les objectifs de son texte, c’est un écueil facile à éviter.

On peut évidemment se contenter de moins de bêta-lecteurs, mais je conseillerais de ne pas faire lire qu’à une seule personne. On risque alors de prendre ses retours pour les uniques possibles, alors que chaque lecteur a sa propre sensibilité.

2/ Préparer son envoi en posant de bonnes questions

Les bêta-lecteurs sont réunis, le manuscrit prêt à partir… accompagné d’un mail où vous fixez le cadre et précisez vos besoins. C’est le moment gestion de projet !

Tout d’abord, n’hésitez pas à annoncer une deadline. Cela permet d’être clair sur vos attentes et de ne pas voir cette étape traîner en longueur. Ne soyez tout de même pas trop impatients : les bêta-lecteurs ne vont pas lire 200 pages Word en une semaine. Un délai de 6 à 8 semaines semble alors raisonnable.

Le message qui accompagne votre manuscrit est le lieu idéal pour identifier comment les bêta-lecteurs peuvent vous aider. Plutôt que dire “je prends tous les retours”, posez plutôt quelques questions - sans trop orienter la lecture pour autant. À titre d’exemple, voici celles que j’avais envoyées à mes bêta-lecteurs :

  • La première page te donne-t-elle envie de lire la suite ? Idem après la première scène ? Le premier chapitre ? 
  • Le déroulé de l'enquête (et l'équilibre entre suspense/transmission d'info) te semble-t-il clair ?
  • Y a-t-il des temps morts / des scènes qui te semblent en trop ? Ou au contraire, d'autres qui se déploient trop vite ?
  • Les relations entre personnages te touchent-elles ?
  • Les différents thèmes s'entremêlent-ils de façon convaincante ?

Cette liste est inspirée de celle d’Alexandre Courbin, qui tient la super newsletter Un rêve un seul, à vous de l’adapter ensuite à votre projet. 

3/ Collecter les réponses des bêta-lecteurs

Il peut y avoir autant de modalité de communication que de bêta-lecteurs : 

  • Retour par mail : plus chronophage pour la personne faisant les retours, et moins vivant
  • Commentaires dans un google doc partagé contenant le manuscrit
  • Photos de commentaires pris sur liseuse 
  • Appel en visio de quarante-cinq minutes à quatre heures (oui, c’est possible !) pour échanger sur le texte
  • Vocal whatsapp de 25 minutes analysant le texte chapitre par chapitre
  • Café (pssst, pensez à inviter)

Adaptez-vous à ce qui est le plus pratique pour vos bêta-lecteurs, et leurs retours n’en seront que plus qualitatifs. Gardez cependant en tête que la session ne peut pas se faire au coin d’une table d’un bar bruyant : vous allez vouloir prendre des notes, laisser le temps à la personne de déployer sa pensée, rebondir sur ce qu’elle vous apprend…

4/ Retravailler votre manuscrit

À l’issue de mes échanges avec les bêta-lecteurs, j’avais noirci de nombreuses pages (classées par interlocuteur) dans un carnet, et créé un fichier que j’ai nommé “Master” pour y incorporer leurs avis. J’écris en général sur Scrivener, un traitement de texte idéal pour les longs formats, mais il n’a pas de fonction annotation. J’ai donc basculé sur Google doc, et intégré les retours de tous les bêta-lecteurs sous forme de commentaires ou suggestions de correction. Cela me permettait aussi de relire au fur et à mesure, toujours sans faire de révisions pour le moment, afin d’avoir une vision globale.

Une fois tout cela “inscrit”, j’ai repris le “Master” manuscrit chapitre par chapitre, décidant d’accepter (ou non) les modifications, et réfléchissant aux changements “de fond” qui couraient sur plusieurs chapitres.

Conclusion : la bêta-lecture fait partie intégrante de la vie du manuscrit

Oui, l’organisation d’une “campagne” de bêta-lecture peut prendre du temps, mais quel plaisir de le prendre, ce temps, pour échanger sur ce texte qui n’existait jusqu’à présent que pour nous !

Les discussions avec les bêta-lecteurs m’ont poussée à éclaircir le rôle de certains personnages (jusqu’à en modifier un en profondeur) et à rendre le texte plus dynamique en supprimant des longueurs. Ils m’ont donné confiance afin de partager le manuscrit à un cercle plus large, et peut-être moins bienveillant.

Cette confiance s’étend aussi à mon processus créatif : avant de recevoir les premiers retours, j’avais très peur de mal “digérer” la moindre remarque un peu négative, de ne pas savoir quoi faire de tous ces avis… Or c’est l’inverse qui s’est passé : j’ai pris beaucoup de plaisir à remanier le texte.

Jusqu’aux prochaines sessions de travail et réécriture, avec un éditeur ou une éditrice ?